40l.
Décembre 1996 - Londres
"Maman s’il te plait !"
"Encore un instant mon chéri, sois patient."
J’avais six ans et préparais joyeusement les fêtes de fin d’année avec mes parents. Comme tout gamin capricieux qui se respecte ce soir-là j’avais quémandé à ma mère une belle guirlande électrique pour décorer le sapin. Nous étions à quelques jours seulement de Noel. Je ruminais car cela faisait des jours que je réclamais cet objet décoratif. Je ne savais pas encore qu’une guirlande électrique allait chambouler ma vie.
Ce soir-là donc ma mère Emily, pour me faire plaisir s’était rendue au supermarché le plus proche. Pendant ce temps mon père et moi nous amusions à aménager la crèche du petit Jésus. Je me souviens encore les éclats de rire qui nous unissaient à cette époque. Nous étions tellement pris dans le jeu qu’aucun de nous deux ne faisait attention à l’heure. Cela faisait pourtant un moment que maman était sortie. Le téléphone sonna :
- Monsieur Huston. J’ai le regret de vous annoncer…
J’entendis quelques sanglots. Je ne la reverrais plus jamais.

Juin 2007 - Londres
J’avais dix-sept ans et étais encore dans l’âge de révolte comme on dit. Cela faisait des années que mon père ne m’adressait plus la parole. Il me tenait responsable de la mort de maman. Je ne compte même plus le nombre de disputes que nous avons eu à ce sujet.
- Ta mère aurait honte de toi si elle voyait aujourd’hui tes bulletins de notes. Tu n’es qu’un incapable Dwight. Un Huston doit savoir s’accrocher. Oh oui ta mère aurait honte de toi.
- Quoi que je fasse tu ne seras jamais fier de moi papa. Je sais que tu crois que c’est de ma faute si elle est morte. Depuis tu ne me considères plus comme ton fils et ne me fait que des reproches !
- C’est faux, je sais t’encourager quand il le faut.
- Ah oui et quand ça ? La dernière fois que tu m’as félicité de quelque chose c’était quand j’avais six ans et que j’ai gagné un match de base-ball papa. Maman a été renversée par un chauffard, je ne l’ai pas tuée !
- Je t’interdis de parler de ta mère, fils ingrat.
- Tu as gagné, je n’en parlerais plus. D’ailleurs tu ne me verras plus beaucoup d’ici un mois. J’ai décidé à la rentrée de continuer mes études aux Etats-Unis. Tu n’auras plus à supporter le fils ingrat que tu renies depuis des années.
Notre dernière dispute. Bizarrement l’été qui suivit, il se radoucit. Mais jamais je ne lui ai pardonné ces années de bonheur qu’il m’avait refusé. Ce Noel que j’attendais tant cette année-là avait été le jour le plus horrible de ma vie ; à mon réveil mon père m’attendait dans le salon, sur son canapé préféré les yeux vides. Il n’avait pas dit un mot, n’avais placé aucun cadeau sous le sapin.
Les années qui suivirent se déroulèrent de la même manière. Je voyais peu mon père, il travaillait beaucoup mais je n’avais aucune hâte de le retrouver le soir. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, on ne déménagea pas à la suite de l’accident. Il préférait rester accroché au souvenir de sa femme. Il ne sortait jamais. Au fil des années j’eus pitié de lui.

Heureusement j’avais mes amis qui m’aidaient à tenir le coup. A mon adolescence j’essayais de passer le moins de temps possible à la maison. Lorsque je n’étais pas nostalgique j’étais d’un tempérament plutôt jovial, ce qui me valait d’avoir beaucoup de compagnie. J’avais les mêmes préoccupations et les mêmes envies que tous les gosses de mon âge. Parmi ces amis fidèles, il y a Arizona, ce petit rayon de soleil. Nous nous connaissons depuis notre plus tendre enfance puisque nos parents se fréquentaient. Chez nous, alors que les adultes discutaient de choses et d’autres, la fillette et moi nous éclipsions dans ma chambre. Nous étions inséparables car il faut dire que nous nous ressemblons beaucoup : les rois du Cap ou pas cap ! Les maîtres en matière de provocation. Nous avons fait les quatre cent coups ensemble. Je me souviens encore du jour où nous avons saboté le mariage de sa tante parce que nous avions déclenché une énorme bataille de nourriture avec la pièce-montée. Est-il utile de préciser que mon père détestait Arizona ? Il la jugeait infréquentable et pensait qu’elle avait une mauvaise influence sur moi. Il ignorait tout de moi jusqu’à mon caractère, car ce n’était pas la jeune fille qui m’entrainait. Ces provocations faisaient partie de moi. Bien sur celles-ci allaient parfois trop loin, ce qui nous a souvent séparé Arizona et moi. De tempérament impulsif et susceptible nous avions du mal à nous supporter. Le vice allait parfois trop loin. Arizona a par exemple a jamais éloigné la seule fille que j’avais aimé au lycée, lui racontant que j’avais perdu ma virginité avec elle. Je ne lui ai plus adressé la parole pendant des mois. Ça l’avait beaucoup amusée. J’ai fini par lui pardonner, elle me manquait trop. Un lien invisible nous lie.

2011 – Athens
Comme je l’avais promis à mon père j’ai déménagé en Amérique. Je ne supportais plus de rester dans la maison aux souvenirs. Ce changement d’air m’a fait du bien je crois. Je respire enfin. Aujourd’hui je suis étudiant à Athens, une bourgade sympathique où j’ai trouvé ma place. Comme il fallait s’y attendre Arizona m’y a suivi. La vie y est difficile cependant, il faut bien réussir à payer le loyer avec quelques petits boulots. Mais ce qui me plait réellement c’est la cuisine. Je compte bien en faire mon métier plu tard. Affaire à suivre. En attendant je profite de la vie à pleine dents alors attention jeunes demoiselles !