Chapitre I. Une nouvelle vie

Je finis mon café, laisse mes oeufs, entrouvre la fenêtre pour y fumer ma première cigarette. Plissant les paupières, je peine à conserver les yeux ouverts. Le ciel était déjà d'un bleu presque blanc, griffés par quelques éclats orangés qui peinaient à s'effacer. Je me surpris à comparer une nouvelle fois mon environnement à celui de ma Californie natale... Six mois déjà. Que le temps passe vite. D'un geste machinal, presque naturel, je respire de nouveau la fumée de ma clope jusqu'à ce que mes poumons se troublent ; laissant sur ma langue un goût de cendre avant d'écraser le restant sur une brique. Puis je pris soin de refermer la fenêtre, avant que l'odeur ne s'attarde. Cherry, en bonne docteur qu'elle était, n'oubliait jamais de me rappeler que je fumais trop. Et quelque part, je l'appréciais aussi pour ça. D'aussi loin que ces six derniers mois remontent, elle n'avait cessée de prendre soin de moi, sans rien demander et sans rien attendre. Dans une période difficile, elle avait été là pour moi. Devenant mon seul point d'ancrage dans un monde qui se délitait. Alors si je devais la remercier, par quoi aurais-je pu commencer ? M'avoir sauvé la vie ? Prendre soin de moi quand tout le monde m'avait abandonné ? M'aimer ? La liste était si longue que la poursuivre m'aurait rendu pitoyable. Je lui devais tellement, et lui donnais pourtant si peu.

Poussant la porte de notre chambre, mes gestes se firent silencieux au son de sa respiration. Elle dormait encore. Emmitouflée dans un drap blanc, serrant un oreiller de plume. Un visage d'ange cachée par quelques mèches blondes. Je les relevais tendrement d'une main, déposant sur son front un léger baiser accompagné de quelques mots silencieux. Mon ange gardien remua sous mon contact sans toutefois se réveiller. Alors tout aussi discrètement, je m'emparais de mes clefs et sortit de la pièce. Une nouvelle journée commençait, et j'allais finir par être en retard. Le train de la vie n'attend jamais personne... J'en avais fait la dur expérience.

Chapitre II. Musique et Souvenirs

La boutique battait au ralentit à cet heure matinale, seul quelques citadins s'y risquaient sur le chemin de leur boulot. Le reste du temps, c'était la vie au jour le jour, comme partout ailleurs : les enfants qui filaient à l'école, les parents au travail, les mères de famille sur les bancs du square d'en face, les lycéens au base-ball, dans les cafés ou sur leur scooters, ainsi que toutes ces voitures qui roulaient au pas, exceptés quelques inconscients de temps à autre. Quand à moi, je me contentais de satisfaire les quelques clients à la recherche d'un ancien disque qui leur rappellerait de vieux souvenirs, du dernier tube en vogue sur les stations de radio, ou d'un simple son qui rythmerait leur vie pendant une heure ou deux. Qui aurait crû alors que l'enfant que j'étais se serait contenter de cette vie si calme ? J'avais toujours eu un goût prononcé pour chercher les ennuis, au grand damne de mes parents adoptifs. Et même si cette tendance avait finit par s'atténuer en grandissant, l'ambition qui m'avait conduit à étudier les langues et le droit aurait suffit à rayer ce genre de vie du tableau où figurait mon nom.

Mais c'était compter sans elle. Crystal Queenie Prince. Je ne saurais trop vous dire comment les choses se sont passées, ni de quelle manière je l'ai rencontrée. Je crois que je me suis simplement retourné, et elle était là. Arrogante, riche, populaire ; tout ce que je n'étais pas. Nous étions tellement différent l'un de l'autre, chacun aux antipodes de notre monde, que le simple fait d'avoir un jour croisé son regard relevait du miracle. Et pourtant, quatre ans plus tard, je ne vivais qu'à travers ses yeux. Le coeur en cavale, calquant le moindre de mes mouvements sur les siens. Amoureux. Prêt à lier ma vie à la sienne, pour le meilleur comme pour le pire. Mais ce fut le pire qui se produisit...

Chapitre III. Nuit noire

Le ciel était si sombre qu'il me semblait qu'on l'avait éteint. Les chiens gueulaient dans les rues désertes et sur les trottoirs abandonnés. J'avais l'impression d'être au bord d'un gouffre béant. Un pas de plus et puis rien. J'étais le vide. Simple coquille qui se recroquevillait dans sa propre douleur. Je voulais savoir. Comprendre. Saisir ce qu'elle avait pu penser pour agir ainsi... pour m'avoir abandonné sans un mot. L'accident de voiture n'avait finalement été qu'un moindre choc en comparaison de l'annonce de son départ précipité, et de ce répondeur silencieux auquel je ne cessais de me heurter. Avait-elle réellement penser les derniers mots dont elle m'avait gratifié ? M'en voulait-elle à ce point pour avoir tirer si vite un trait sur nous deux ? A ce moment là, j'ignorais encore qu'un rapport de police communiquant mon « décès » lui avait été signalé pendant ma convalescence. Quand je l'ai appris, je n'avais plus que des larmes et un amour perdue. Et si Cherry n'avait pas été à mes côtés à ce moment là, j'ignore ce qu'il serait advenu de moi. J'ai fini par remonter la pente grâce à elle, pansant mes blessures dans ses bras. Le temps a fini par nous rapprocher davantage, et je vis maintenant avec elle à Athens, sa ville natale. Finalement, nous sommes heureux ensemble malgré le poids d'un fantôme qui me pèse constamment sur le coeur. Aurais-je agis ainsi si j'avais su que je serais amené à retrouver mon premier amour ? Car au fond, à aucun moment Queenie n'a fait partie de mon passé...