Mai 2011.

Je m'effondre sur mon lit en soupirant, le regard rivé vers le plafond. Sur ce coup là, je n'ai rien vu venir. Rien du tout. Et la chute n'en est que plus forte. Je crois que si je n'aimais pas autant ma mère, j'aurais pété un câble depuis longtemps.
En fait...Si je faisais un point sur ma vie jusqu'à maintenant, je dirais que ça a été un sacré bordel.

08 Mai 1991:

Le jour de ma naissance. Durant mon enfance, ma mère s'amusait souvent à le raconter ce jour si important pour elle. Le sourire aux lèvres, elle me décrivait la maison qu'elle habitait avec mon père dans les moindres détails, le temps qu'il faisait et même l'émission qu'elle regardait à la télévision quand elle a perdu les eaux.
Puis vint le moment de son séjour à l'hôpital. Elle m'avais également relaté les jours qu'elle y avait passé avec moi, si petite et frêle dans ses bras. Mon père plaisantait souvent sur cela en disant qu'il se demandait comment une fille si menue à la naissance pouvait avoir faim aussi souvent.

Le 14 Septembre 1996:

Le pire de mes souvenirs. J'avais à peine cinq ans et jouait dans ma chambre avec mes Barbies, sage comme une image. Puis un gros bruit de verre cassé m'avais fait sursauter. Mes poupées à la main, je me souvient m'être levée et avoir traversé le couloir qui menait à la cuisine, où deux vois se succédaient. Et criaient.
Mes parents se disputaient. Encore. Regards noirs et remarques cinglantes étaient à l'ordre du jour, comme d'habitude. Cela faisait des mois que ça durait.
Et apparemment, cette dispute était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Je revois encore mon père sortir de la cuisine comme une furie et de s'arrêter net en me voyant devant lui. La colère qui tordait son visage s'est effacée d'un coup et il s'est contenté de passe une main dans mes cheveux avant de disparaître dans le couloir.
Même pas une heure plus tard, il claquait la porte de la maison, valises à la main.
Maman est venue sécher mes larmes et me consoler. Puis elle m'as expliqué que désormais, on serait seules.

Aujourd'hui, je n'ai plus aucune nouvelles de lui. Durant le divorce, il a avoué vouloir refaire sa vie entièrement et cela incluait me rayer de sa vie. Mais j'ai l'intime conviction qu'un jour il voudra me revoir.

21 Décembre 2001:

L'année de mes dix ans. Peu avant les fêtes de Noël, nous arrivons devant notre toute nouvelle maison, à ma mère et moi. A Athens, Sud Ouest des Etats-Unis. J'ai fait la tête pendant des semaines, après notre arrivée.
Déménager n'était même pas envisageable pour moi! Quitter tout ce que j'avais dans le Maine, mes souvenirs, mes amis...C'était dur.
Mais maman voulait prendre une nouveau départ, laisser tout ce qui pouvait bien lui rappeler mon père loin derrière elle. Et elle a tellement travaillé pour payer cette nouvelle maison, cette nouvelle opportunité de vivre que, même du haut de mes dix années, je comprenais que je ne devais pas lui en tenir rigueur.

Les années suivantes, je m'étais adaptée et j'avais évolué. Grandi et mûri. Le divorce de mes parents, j'arrivais à le gérer et m'occupait plus de mes études que d'autre chose, pour éviter de penser au manque que créait mon père.
C'est à l'âge de quatorze ans que j'ai trouvé ce que je voulais faire dans la vie: Styliste. Ou au pire, un métier touchant a mode, peu importe quoi.
La mode et tout ce qui s'y rapproche, c'est mon truc, j'adore ça. Et j'ai l'intime conviction que c'est ma conviction. Je ne me vois pas faire autre chose de ma vie, de toute façon.

08 Juillet 2009:

Deux mois pile après avoir fêté mes dix huit ans, je bouclais mes valises. Mon rêve était sur le point de se réaliser...Ou presque.
J'avais réussi à me décrocher une place dans un stage d'un an et demi pour mes études de mode, en Italie!
La chance de ma vie, la seule chose qui pouvait me pousser à quitter ma mère et à la laisser seule à la maison.
Ainsi, quelques heures après, je décollais pour Milan, une des nombreuses capitales de la mode.

Janvier 2011:

Je m'étais plutôt bien habituée à l'Italie. J'étais bilingue et me pliait à leurs habitudes, leurs coutumes.
Et, un jour, alors que je rentrais dans le petit appartement que j'habitais avec une fille qui suivait les mêmes cours que moi, j'ai reçu un coup de fil de ma mère.
J'ai failli faire une crise cardiaque ce jour là.
Maman m'annonçait qu'elle allait se marier, au mois d'Avril. Se marier! Bien sûr, je savais qu'elle fréquentait un homme depuis quelque temps et qu'elle l'aimait beaucoup...Mais pas à ce point.
Et, cerise sur le gâteau, on déménageait! Encore! Nous restions dans la même ville, certes, mais nous allions investir une villa.
Ainsi, à mon retour j'allais avoir un beau-père et un demi-frère.

5 Avril 2011:

Jour du mariage de maman. Malheureusement, je n'ai pas pu y assister. J'ai pourtant tout essayé, supplié mes professeurs, mais rien. Je devais finir mon année, donc je suis restée sur place, mes seules pensées accompagnant ma mère s'unir, à défaut de pouvoir être physiquement là.
Je commençais d'ailleurs à appréhender la rencontre. Deux personnes inconnues entraient dans ma famille et je n'avais aucune idée de comment ça allait se passer.

08 Avril 2011:

Mon retour à Athens. J'arrivais assez tôt dans la matinée devant ce qui allait être ma nouvelle maison. Magnifique, en passant.
J'avais payé le taxi et sauté au cou de ma mère, pleurant à chaudes larmes. Elle avait l'air tellement plus heureuse, l'amour semblait même la rajeunir.
Puis elle m'avais entraînée à l'intérieur de la maison, où m'attendait le reste de ce qui était ma famille.
Mon beau-père, avocat de son état, avait l'air terriblement gentil. Il m'avais mise à l'aise et j'arrivais à rire facilement.
C'est quand j'ai vu mon demi frère débarquer que mon sourire s'est effacé, l'espace d'une seconde seulement.

Ycare.

Il avait tendu la main vers moi et s'était présenté à moi comme si c'était la toute première fois que nous nous rencontrions.
J'ai compris sa pensée et ai sourit, serrant sa main dans la mienne en me présentant à mon tour.
La vérité, c'est que nous nous étions déjà vu, une seule fois. Mais c'était un souvenir assez mémorable pour moi.
C'était il y a deux ans, peu avant mon départ en Italie. J'étais un peu bourrée, lui aussi. Et nous avons couché ensemble. Ce n'était que l'affaire d'une rien, rien de plus.
D'ailleurs, je n'aurais jamais cru le revoir, encore moins en tant que...demi-frère. Il ne restait plus qu'à m'y faire.

Et, au jour d'aujourd'hui, je n'y arrive toujours pas. Je fais bonne figure devant les autres. Je le traite comme un frère quand je suis avec lui et devant mes parents mais... Ça me fait bizarre.
Tout ce que j'espère, c'est que l'arrière goût amère que cette situation laisse dans ma bouche passera vite. Il le faut.