On invite pas la mort, elle s'impose. Marc Levy.

Trois décembre mille neuf cent quatre vingt douze. - 2 ans. Hôpital de New York.

Course effrénée dans l'hôpital, je suis difficilement mon père, ma main dans la sienne. On traverse les couloirs, l'odeur insupportable de l'hôpital me chatouille les narines, et je ne comprends pas ce qu'il se passe. Nous entrons enfin dans une chambre. Sur la porte est inscrit le numéro « 238 ». Nous entrons, et le médecin s'approche vers nous. « Nous n'avons rien pu faire, je suis désolé. » Des mots que je ne comprends pas encore, je tourne alors la tête vers mon père. Lui semble comprendre, et s'effondre sur le lit, en pleurs. Je n'ai que rarement vu mon père pleurer, et mon coeur se serre. Il me lâche brusquement la main, et je ne dis rien. Je me contente de serrer mes bras autour de moi, ne comprenant pas ce qui vient de se passer. Quelques jours plus tard, je me retrouve au côté de mon père, et plein de personnes forment un cercle autour de nous. Mon papa m'avait dit dans la voiture qu'on allait au cimetière, alors cela doit être ça. Il me serre la main fort, et nous avançons vers le trou creusé devant nous. Une grande pierre en marbre se dresse devant moi, elle doit faire ma taille. « Andréa june Matthews. ». Je comprendrais un peu plus tard que mon deuxième prénom est similaire à celui de ma mère. Je me souviens que la réponse de mon père à ma question « Il s'est passé quoi, papa ? » avait été très vague. Il m'avait dit que maman n'était plus là. « Où est-ce qu'elle est partie?  - On ne la reverra pas, chérie, tu comprendras plus tard. Elle est partie... là haut. » Mais papa, c'est où, là haut ?

L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, c'est pour ça que le présent nous échappe. Gustave Flaubert.

Vingt huit mars mille neuf cent quatre-vingt huit. - 8 ans. Aéroport de New York.

«  Les passagers pour le vol numéro 156974, à destination de Athens, Arkansas, sont appelés à la porte […] »
Le lendemain de mon anniversaire, l'année de mes huit ans. On s'est retrouvés à l'aéroport de New York, direction Athens. La mort de ma mère avait gravement troublé mon père, malgré le fait qu'il ne l'ait presque jamais montré. Ma mère était née là bas, ils s'étaient rencontrés là bas, et mon père, sur un coup de tête, avait décidé de tout quitter à New York pour aller vivre à Athens. Il quittait sa célèbre agence de mannequinat New Yorkaise, il quittait la ville où ma mère et lui s'étaient aimés pendant de longues années. Il quittait sa ville natale. Vaine tentative de fuir une partie de son passé ? Vaine, en effet. Car partout où nous allons, le passé ne nous lâche pas de si tôt. A chaque fois que nous pensons l'avoir oublié, un geste, un mot, nous le remémore. Le déménagement ne m'a pas fait ni froid ni chaud, je me suis ré-adaptée sans problème, et j'ai très vite apprécié cette ville. J'avais juste fait promettre à mon père que l'on ne déménagerait pas une nouvelle fois, je m'étais fait trop d'amis pour les quitter une nouvelle fois. J'étais sage à l'école, j'avais de bonnes notes, je faisais surtout ça pour mon père. Pour revoir un sourire naître sur son visage, parce que même si il ne le disait pas, il était très malheureux depuis la mort de maman.

Onze octobre deux mille cinq. - 15 ans. Athens.

« Qu'est ce que tu voudrais faire plus tard ? » « Je voudrais être mannequin. » Grâce à l'agence de papa, où je traînais souvent, j'admirais souvent les filles qui allaient et venaient et puis tout ce qui se passait autour. C'est arrivé comme une évidence, c'est ce que je voulais faire. C'est également cette année là, en 2002, que mon père rencontra une femme, enfin plutôt la greluche qui faisait office de secrétaire et qui était niaise comme pas deux. Trois mois de relation seulement et un mariage de prévu. J'étais contente de voir mon père à nouveau heureux, mais je ne cessais d'espérer qu'il ne remplaçait pas maman. Car cette femme n'était pas ma mère. Elle ne le sera jamais. Elle était gentille. Peut être même un peu trop. Naïve, surtout. Elle me parlait comme si j'avais encore huit ans. On aurait dit qu'elle savait pas compter. Je supportais mal son comportement, je voyais toujours en elle une femme qui voulait remplacer ma mère. Tout ce que je ne voulais pas. Alors un froid s'est progressivement installé entre nous pendant les années suivantes. Elle a donné naissance à une petit garçon, qui ravit mon père, apparemment. Ce petit garçon effaçait un peu plus ma présence, mais seul moi m'en rendais compte. Et je ne disais rien, je me contentais de l'attention qu'ils me donnaient, sans rien demander de plus. Je me disais qu'il ne fallait pas trop en demander. Même si je trouvais ça tout de même naturel de faire sentir à son enfant qu'il est chez soi. Malheureusement, je le ressentais de moins en moins.

Dix neuf mars deux mille huit. - 18 ans. Athens.

Plongée dans le dessin d'une création que je devais finir et donner à mon père le lendemain, je ne sentis pas mon petit ami arriver mais je sentis bien le coussin s'abattre dans ma nuque. Bonjour, je m'appelle Tomas, 19 ans, 5 ans d'âge mental. Il éclata de rire, derrière mon dos, et commençait à courir, sentant bien que la revanche était proche. « Put... Tomas Keylian Andrews, tu vas me le payer ! » m'écriais-je en joignant son rire au mien. Je choppai le premier coussin qui venait et lui courra après. Se prenant les pieds dans le tapis, il ne manqua pas de s'étaler de tout mon long sur le canapé, et moi de m'écraser sur lui avant de faire pleuvoir les coups. Je savais qu'il faisait ça pour me détendre, et de pour me faire faire une pause dans le boulot que je devais faire. Il savait toujours quoi dire et quoi faire pour me détendre, j'avais trouvé l'homme qui me donnait l'impression d'avoir une raison de vivre, et d'avoir ma place quelque part. Il me tannait tout le temps pour que je sorte un peu avec lui. Je savais que ça pouvait me faire du bien, mais je me l'interdisais, surtout en semaine, en voyant ce que l'agence me demandait. De toute façon, il savait qu'à force, je céderai, la raison l'emporterait. Lui en dessous de moi, il me bloqua quand même les poignets, profitant d'un de mes moments d'égarements. « Tu sais bien que je ne t'ai pas attaqué pour rien, alors... on sort ce soir. » Un sourire s'afficha sur mes lèvres, je l'avais vu venir. « Mais Tom... » essayai-je. Il me coupa avant que je ne puisse dire un mot de plus. « Pas de discussion, cette fois. Tu viens, point final. » Faisant mine de marmonner quelque chose, néanmoins avec un sourire aux lèvres, je me tus et montai me préparer. Quelques minutes plus tard, je descendais les escaliers. « Jhules ! Tu... Tu es magnifique. » C'est un sourire aux lèvres que je pris son bras, en franchissant la porte de la maison. « Je vais t'apprendre comment on vit la nuit, à Athens. »

On invite pas la mort, elle s'impose. Marc Levy.

Vingt-et-un mars deux mille neuf. - 19 ans – Athens.
Tomas était mort quelques jours plus tôt. Overdose, ils étaient arrivés trop tard. Je m'étais pris une grande claque. Tout ce qui me reliait à ma vie et à la réalité c'était lui. Depuis, je vivais comme un fantôme et prétendais que tout allait bien. Je trouvais un peu de raison de vivre dans le mannequinat, mais ce n'était pas Tomas. Je ne savais même plus comment vivre. Ma mère. Et puis lui. Je me demandais ce que je foutais encore sur terre. Alors pour l'apprentissage de la vie de nuit, j'avais très bien appris ma leçon. Très vite surtout. J'avais trouvé en ces soirées un échappatoire artificiel, créé par toutes les substances illicites que l'on pouvait trouver. J'avais déjà eu un problème de drogue étant jeune, et je n'y touchais plus que rarement. Par contre l'alcool... Je savais que la dépendance viendrait, assez vite même, mais c'était plus facile. La vie était plus facile comme ça. Oublier était plus facile. Tout m'avait filé entre les doigts, sans que je m'en aperçoive. Et le pire, c'est que ça me faisait flipper. L'amour, les sentiments, ça n'était plus pour moi. Je ne m'imaginais pas pouvoir encore aimer un jour. C'était Tomas et ça le serait toujours. Tout ça, c'était fini pour moi. Je préfère les relations sans attaches, et au moindre signe d'once de sentiments chez mon partenaire souvent d'une nuit, je disparaissais.

Dix décembre deux mille dix. - 20 ans. - Athens.
Mon père revenait d'une soirée avec sa niaise et elle était montée se coucher, par contre mon père me surveillait. Il me vit me servir un verre devant mon ordi alors que je finissais un dessin sur la palette graphique, et me dit quelque chose qui me fit bien rire. « Tu crois pas que tu devrais te calmer là dessus, Jhules ? Tu sais que t'as des problèmes avec ça. » « Je crois que j'ai pas besoin de recevoir de leçon de quelqu'un qui sent l'alcool jusqu'ici. » « Moi c'est occasionnel. » « Occasion quotidienne, ouais bien sûr. Arrête ton char papa. » « Tu sais que tu vas avoir des problèmes avec ça.. » « Arrête. Je crois que le quota de problèmes, je l'ai déjà dépassé largement, alors un de plus ou un de moins. Et puis tu sais que.. c'est plus facile comme ça. » Plus facile pour faire semblant d'oublier. Plus facile pour survivre à cette routine qui n'avait plus de aucun sens. Je tournais en rond. Ca me tuait à petit feu. Et pourtant, un inlassable sublime sourire sur mes lèvres subsistait. Pourquoi ? Pour faire croire à tout le monde que je m'en remettais. Pour essayer de me convaincre moi même. Je sortais tous les soirs dans les boîtes les plus branchées, j'étais mannequin, je créais des fringues, je pouvais avoir tout ce que je voulais. Mais je n'avais plus ce dont j'avais réellement besoin : Tomas. Je subissais la vie, c'est tout.